Sainte Agnès de Montepulciano

Fondatricedu monastère de Montepulciano

1277 - 1317

 

La Vie d'Agnès

Agnès est née en 1277 à Gracciano Vecchio, au centre de l’Italie, de parents pauvres, mais riches intérieurement.

A l’âge de 4 ans, elle quittait souvent ses jeux d’enfant pour se retirer dans un endroit solitaire. Là, elle se mettait à genoux, élevait vers le ciel son cœur, ses yeux et ses petites mains, offrait à Jésus ses prières et sa personne, et lui demandait de bénir ses parents.

A 9 ans, Agnès, dont le nom signifie épouse, demanda à se vouer à Dieu dans un monastère. Ses parents crurent sage de s’opposer pour le moment à ce dessein : elle était si jeune !
Mais Agnès pria et Dieu fléchit toutes les résistances. Elle entra chez les religieuses del Sachho, à côté de Monte Pulciano, qui vivaient sous la règle de st Augustin.
Dès ses premières années de vie religieuse, elle fut très appréciée de sa maîtresse des novices et de ses compagnes de noviciat.

Lorsqu'elle fut arrivée à l'âge de quatorze ans, on la nomma procuratrice de son monas­tère. Cette charge devait l'arracher aux douceurs de l'oraison - mais elle savait que l'oraison n'est plus agréable à Dieu, quand l'obéissance appelle à d'autres emplois.: Elle obéit donc avec joie, et jamais on n'eut à lui adresser le moindre reproche. Elle veillait avec diligence à ce qu'aucune religieuse ne manquât de quoi que ce fût, et quand il s'agissait de rendre un service à ses soeurs, elle était toujours pleine de grâce et de charité. Auparavant, elle avait résolu de garder pendant le carême un si­lence inviolable pour ne converser qu'avec le ciel ; mais, comme ses soeurs seraient devenues les victimes de ce sacrifice, elle se contenta de retrancher toutes les paroles qui n'étaient pas nécessaires à l'exercice de sa charge.
Dieu témoigna alors combien il est loin de désapprouver qu'on le quitte pour le bien du prochain ; car, durant ce temps même, sainte Agnès reçut une grâce des plus éclatantes. La Mère du Sauveur, qui après Dieu possédait son âme, lui appa­rut , et l'entretenant doucement, elle lui donna trois petites pierres merveilleusement belles. Puis elle lui dit : « Ma fille, avant ta mort tu bâtiras un monastère en mon honneur : prends ces trois petites pierres pour te rappeler que ton édifice doit être fondé sur la foi constante et la confession de la très-haute et indivisible Trinité… »

Déjà Agnès jouissait dans le monde même, où le bruit de ses miracles s'était répandu , d'une réputation extraordinaire de sainteté. On en vit bientôt la preuve. Les habitants de Pro­cena, près d'Acqua Pendente, avaient décidé de bâtir un mo­nastère pour leurs filles. Bien qu'Agnès n'eût que quinze ans, ils vinrent la demander pour en être la fondatrice et la première supérieure. A la pensée du commandement, l'humilité d'Agnès s'effraya : elle mit en avant son incapacité et son âge. D'ailleurs, elle savait que ce n'était pas là le monastère que la Sainte Vierge lui avait ordonné de bâtir. Cependant le Vicaire de Jésus-Christ, eu vertu de son autorité suprême, lui ordonna d'entreprendre la fondation proposée ; elle le fit. Mais, toujours convaincue de son indignité, elle redoubla ses oraisons et ses pénitences.
En retour de ces sacrifices, elle fut comblée, même visiblement, des grâces célestes. Une nuit de l'Assomption , la sainte Vierge lui ap­parut de nouveau ; et, déposant l'enfant Jésus dans ses bras, elle l'abandonna à ses plus affectueuses caresses. Agnès ne put se séparer de son bien-aimé qu'en versant des larmes , et pour consolation, elle détacha une petite croix du riche collier de perles du divin enfant. - Un autre jour, priant dans la partie la plus solitaire du jardin , elle fut ravie en Dieu et oublia l'heure de la messe. Son extase ayant cessé, elle se mit à pleurer de n'avoir pu recevoir son Sauveur. Alors un ange lui apporta la sainte Eucharistie et lui donna la communion.

Or, les religieuses del Saccho ne formaient qu'une de ces congrégations éphémères qu'un jour de générosité fait naître, mais que, au siècle suivant, on retrouve seulement dans le passé de l'histoire. Un jour donc, - dans une de ses visions mystérieuses, la servante de Dieu se trouva en pleine mer, en face de trois vaisseaux magnifiquement pavoisés conduits par saint Augustin, saint François d'Assise et saint Dominique. Une sainte dispute s'était élevée entre eux à qui posséderait Agnès. Mais le glorieux patriarche Dominique , alléguant l'arrêt du ciel qui lui donnait Agnès pour fille, tendit la main à son enfant et l'introduisit dans sa barque.
Agnès ne comprenait pas comment se ferait ce changement d'institut ; mais bientôt un ange vint le lui révéler. Il lui rap­pela les trois petites pierres qu'elle avait reçues autrefois de la Sainte Vierge, avec l'ordre de lui bâtir plus tard un monastère. « Le temps, lui dit-il, en est venu : devez fonder une maison sur la colline même de Monte Pulciano ; vous dédierez le couvent à la très-sainte Trinité, à l'incomparable Vierge Marie, au bienheureux Dominique, auquel vous allez désormais appartenir. »


Elle se rendit donc à Monte Pulciano, où elle fut reçue comme en triomphe. Redou­tant ces applaudissements, qui ôtent souvent à la vertu son prix surnaturel, elle pressait sans relâche les travaux de construc­tion ; et sitôt que la clôture put être gardée , elle revêtit l'habit des soeurs de Saint-Dominique, puis fit voeu de vivre selon les règles de son nouvel ordre. Suivant la promesse qui lui avait été faite, elle se trouva, en peu de temps, à la tête d'une com­munauté de vingt religieuses. Mais Dieu permit une fois qu'on oubliât la nouvelle famille, et le couvent resta trois jours sans pain. Agnès, dont la confiance égalait l'humilité se plaignit amoureusement au ciel d'une nécessité si extrême. Mais écoutons Dieu relatant l’événement à la Vierge de Sienne (Dialogue 149) :« Cette chère petite pauvre, dit-il, ma fidèle Agnès, éleva son cœur vers ma bonté, en me disant : Mon bien-aimé Seigneur, mou tendre Père, mon éternel Époux, ne m'avez-vous pas ordonné de  retirer de leurs familles ces vierges? et vous, ne les avez-vous réunies dans votre maison que pour les laisser mourir de faim ? Bon Maître, pourvoyez à leurs besoins ! - Pour satisfaire son hum­ble demande, j'inspirai à quelqu'un la pensée de lui porter cinq petits pains, et je le lui révélai. Quand celui qui venait approcha de la porte, Agnès dit à une de ses filles : Ma fille, allez au tour, et apportez le pain que le Seigneur nous envoie dans sa bonté.- Quand les pains furent apportés, on se mit à table, et, pendant que ma bien-aimée faisait le partage, je mis dans ses mains une telle puissance que les pains se multiplièrent et pu­rent fournir abondamment à plusieurs repas. »
Cependant le jour des noces célestes approchait pour Agnès. Mais des heures d'infirmités et de douleurs précédèrent cet instant si désiré. Pressentant que Dieu voulait la retirer de cette terre d’exil, elle se disposa à la mort avec joie, et reçut les derniers sacrements avec un cœur palpitant d’amour et un visage rayonnant de joie. Ses sœurs pleuraient amèrement, mais elle les consola par ces paroles : «  Si vous m’aimiez comme vous devez, mes filles, vous ne pleureriez pas ainsi. Car les amis ne s’attristent pas du bien de leurs amis : au contraire, il s’en réjouissent. Le plus grand bien qu’il puisse m’arriver, c’est de m’en aller à notre Epoux. Soyez-lui fidèles à cet Epoux si bon ! Persévérez toujours dans l’obéissance, et je vous promets de vous être  plus utile au ciel que si je restais parmi vous. Surtout, aimez-vous les unes les autres ! »
Bientôt, levant les yeux et les mains au ciel, elle dit avec un sourire ravissant : « Mon bien-aimé est à moi ; je ne le quitterai plus ! » C’était le 20 Avril 1317.

 

D’après l’Année Dominicaine  Avril 1861

 

Lettre de Ste Catherine de Sienne aux moniales de Montepulciano

CCIII (157).- Lettre de ste Catherine de Sienne à la Prieure, et aux Religieuses de Sainte-Agnès, à Montepulciano. - De la reconnaissance envers Dieu, qui se prouve par l’observation de ses commandements et de ses conseils.

(Le couvent de Sainte-Agnès était proche de Montepulciano. Sainte Catherine aimait beaucoup le visiter pour vénérer le corps de la bienheureuse Agnès, qui y était conservé. Plusieurs miracles s’opérèrent pour elle dans ces visites. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. XII.)

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissantes envers votre Créateur, afin que la source de [1131] la piété ne se tarisse pas dans vos âmes, mais qu’elle s’alimente par la reconnaissance. Faites attention que cette reconnaissance ne doit pas consister seulement en paroles, mais encore en bonnes et saintes œuvres. Et comment la montrerez-vous? En observant les doux commandements de Dieu, et avec ces commandements, les conseils, mentalement et actuellement; car vous avez choisi cette voie des conseils, il faut donc la suivre jusqu’à la mort autrement vous pêcheriez; l’âme qui est reconnaissante les observe toujours. Que promettez-vous dans votre profession? Vous promettez d’observer l’obéissance, la charité, la pauvreté volontaire; et si vous ne les observez pas, vous tarirez la source de la piété

2. O très doux feu d’amour, qui remplit l’âme des plus suaves douceurs ! Aucune peine, aucune amertume ne peut atteindre l’âme qui brûle de ce feu doux et glorieux. La charité ne juge jamais en mal; elle ne voit pas la volonté de l’homme, mais seulement la volonté de Dieu, sachant qu’il ne veut autre chose que notre sanctification. Puisque Dieu ne veut autre chose que notre bien, que tout vient de lui, et qu’il permet dans ce but les tribulations, les tentations, les peines et les tourments, l’âme ne doit s’affliger de rien, si ce n’est du péché, qui n’est pas. Puisqu’il n’est pas en Dieu, il n’est pas digne d’être aimé; il faut, au contraire, le haïr, et préférer la mort à l’offense de son Créateur. O douceur d’amour ! comment le cœur de votre épouse peut-il ne pas vous aimer, en voyant que vous êtes l’Epoux qui est la vie? Dieu éternel! vous nous avez créés à votre image et ressemblance uniquement par amour, et, lorsque nous avons perdu la grâce par le malheureux péché, vous nous avez donné le Verbe, votre [1126] Fils unique, et votre Fils nous a donné sa vie; il a puni nos iniquités sur son corps, et il a payé une dette qu’il n’avait pas contractée. Hélas! hélas ! misérables que nous sommes ! nous étions des voleurs, et il a été supplicié pour nous!

3. Ne doit-elle pas rougir de honte et de confusion, l’épouse ignorante, endurcie, aveugle, qui n’aime pas lorsqu’elle se voit tant aimée, et que les liens de cet amour sont si doux? Voici le signe de l’amour celui qui aime Dieu avec la raison suit les traces du Verbe, son Fils unique; celui qui ne l’aime pas au contraire, suit les traces du démon et sa propre sensualité. Il obéit aux lois du monde, qui sont opposées à celles de Dieu; il goûte la mort et ne s’en aperçoit pas. Son âme est plongée dans les ténèbres, car elle est privée de la lumière; elle souffre et elle est en querelle continuelle avec son prochain, parce qu’elle est privée des liens de la charité. Elle se trouve livrée aux mains du démon, parce qu’au lieu d’être l’épouse fidèle de Jésus crucifié, elle a, comme une adultère, abandonné son céleste Epoux; car l’épouse, est appelée adultère lorsqu’elle n’a plus l’amour de l’époux, et qu’elle aime, qu’elle s’unit à celui qui n’est pas son époux. Quel danger et quelle honte de se voir aimée, et de ne pas aimer !

4. Aimez-vous donc, aimez-vous les unes les autres; c’est à cela qu’on verra si vous êtes ou non, les épouses et les filles du Christ. On ne les reconnaît qu’à l’amour qui a Dieu pour principe, et qui s’applique au prochain. C’est ainsi qu’il faut arriver à notre but, à notre fin, on suivent les traces de Jésus [1127] crucifié; non le Père, mais le Fils, parce que le Père ne peut souffrir, mais le Fils.

5. Il faut donc suivre la voie de la très sainte Croix, supportant les opprobres, les mépris, les outrages, méprisant le monde avec toutes ses délices souffrant la faim, la soif avec l’esprit de pauvreté, avec une obéissance ferme et persévérante, avec une grande pureté d’âme et de corps, dans la société des personnes qui craignent vraiment Dieu, et dans la solitude de la cellule, en fuyant comme le poison, le parloir et la conversation des faux dévots et des séculiers. Car l’épouse du Christ n’agit pas de la sorte; elle aime la société des vrais serviteurs de Dieu, et non celle de ceux qui n’ont de religieux que l’habit. Il ne faut pas que sous un chef couronné d’épines vivent des membres délicats, comme font les insensés qui s’éloignent du Christ, leur maître, et qui ne recherchent que les délices et les délicatesses du corps. Nous surtout, qui sommes séparées du siècle et placées dans le jardin de la vie religieuse, nous, ses épouses choisies, nous devons être des fleurs de bonne odeur. Oui, si vous observez ce que vous avez promis pour répandre vos doux parfums, vous participerez à la bonté de Dieu en vivant dans sa grâce, et vous le goûterez dans son éternelle vision. Si vous ne le faites pas, vous répandrez une honteuse infection; vous goûterez l’enfer dès cette vie, et vous aurez à la fin en partage la vue des dénions. Pour suivre le Christ, sortez du siècle, renoncez au monde et à ses richesses en vous attachant à la vraie pauvreté. Renoncez à la volonté propre en tous soumettant à la véritable obéissance; éloignez [1128] vous de l’état commun en ne voulant pas être les épouses du monde, pour conserver la vraie continence et la virginité dont le parfum réjouit Dieu et les anges qui se plaisent à habiter l’âme qu’embaume la pureté. Soyez unies et non pas divisées par la haine, la jalousie et l’antipathie, les unes envers les autres; soyez unies étroitement dans les liens de la charité, car autrement vous ne pourriez plaire à Dieu ni avoir aucune vertu parfaite.

6. Quelle honte et quelle confusion pour l’âme qui ne tient pas ce qu’elle a promis, et qui fait tout le contraire ! Elle ne suit pas le Christ, et ne marche pas dans la voie de la Croix; mais elle veut suivre la voie du plaisir. Ce n’est pas la nôtre : il nous faut suivre l’humble Christ, l’Agneau sans tache, le pauvre Agneau; sa pauvreté était si grande, qu’il n’avait pas une place pour reposer sa tête très pure. La souillure du péché n’était pas en lui, et il a obéi à son Père pour notre salut jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Les Saints et notre glorieux Père saint Dominique ont fondé leurs Ordres sur ces trois colonnes, la pauvreté, l’obéissance, la chasteté, pour pouvoir mieux ressembler au Christ et suivre sa doctrine et ses conseils ; car de ces vertus procède toute Vertu, et de leurs contraires procèdent tous les vices. La pauvreté éloigne l’orgueil, les conversations du monde et les amitiés dangereuses qui s’entretiennent par des présents; car quand on n’a rien à donner, on ne trouve que l’amitié des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment le don de l’âme. Elle éloigne la vanité du cœur et la légèreté d’esprit; elle fait aimer la cellule, où on goûte la sainte oraison,[1129] qui conserve et augmente les vertus. Elle conduit à la pureté parfaite, et fait observer ainsi le vœu de chasteté, tellement qu’on s’abstient non seulement d’un pêché, mais de tous, en foulant aux pieds la sensualité, en macérant son corps, et en le privant de tout plaisir. En le domptant ainsi par le jeûne, les veilles et la prière, on devient humble, patient, charitable; on supporte les défauts de son prochain, et on s’unit à son Créateur par l’amour, et au prochain pour Dieu. L’âme supporte les peines du corps, parce qu’elle y trouve un gain.

7. Lorsqu’elle a ainsi triomphé de l’orgueil, elle y goûte le parfum de la sainte humilité; et elle est aussi obéissante qu’elle est humble, et aussi humble qu’elle est obéissante. Celui qui n’est pas orgueilleux suit ce qui est humble; et s’il est humble, il est vraiment obéissant; il possède ainsi la troisième colonne qui soutient la cité de l’âme. Le véritable obéissant observe les règles et les usages de son Ordre; il n’élève pas la tête de la volonté propre contre son supérieur, et ne discute jamais avec lui; mais au premier mot, il obéit et baisse la tête sous le joug. Il ne dit pas : Pourquoi me commande-t-il, me dit-il cela, et non pas autre chose? mais il cherche le moyen d’obéir promptement. O douce obéissance ! tu n’as jamais de peines ; tu fais vivre et courir les hommes morts, car tu fais mourir la volonté; et plus elle est morte, plus on court rapidement. Car l’âme qui est morte à l’amour-propre de la volonté sensitive, court plus légèrement pour s’unir à son Epoux céleste par l’amour; elle s’élève à une telle hauteur, à un tel repos d’esprit, que dès cette vie, elle commence à goûter les parfums et les fruits de la vie éternelle. Soyez, soyez donc obéissantes jusqu’à la mort; aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; unissez-vous par les liens de la charité, car nous ne pouvons autrement atteindre la fin pour laquelle nous avons été créées. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir des épouses unies étroitement dans les liens d’une véritable et ardente charité. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour

P. Cartier 1886